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MANE VECHEN – entretien avec André Daviaud

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Avec Mane Vechen, André Daviaud signe son troisième roman, aux éditions Les Perséides. Un roman ancré aussi bien dans la Bretagne que dans l’Antiquité romaine, puisqu’il est question d’une villa armoricaine, au IIIème siècle de notre ère. Un roman porté autant par la violence de l’histoire que par le souffle d’une écriture poétique…

« Je suis née du désir de mer »

Sortie de Secours : Votre troisième roman se nomme donc « Mane Vechen », un titre qui peut paraître énigmatique…

André Daviaud : En fait, Mane Vechen, c’est un lieu-dit où l’on a retrouvé les ruines d’une villa romaine du IIIème siècle, qui a disparue pendant 16 siècles. Elle est née à peu près sous l’empereur Septime Sévère, on ignore son nom… C’était une villa maritime, dont toute l’architecture était orientée vers la mer. Il s’agissait sans doute de jouer avec l’horizon marin, comme le faisaient les villas de plaisance des romains.

S.d.S. : Mais comment est venu ce « désir de roman » ?

A.D. : J’ai connu cette villa en assistant à deux conférences d’Eric Prevost, l’archéologue qui a fait les fouilles. La première m’a invitée à aller visiter le site, à Plouhinec… Ce sont des ruines évidemment, des bases de murs, très peu de choses… Mais c’est un appel à l’imaginaire : à partir de ce rien, on peut tout imaginer, combler les blancs de l’histoire. Il y a cependant quelques éléments avérés : l’implantation des lieux, les destinations des pièces même si les historiens ne sont pas d’accord.

Vue aérienne de la villa - http://www.mane-vechen.info/galerie.php

S.d.S. : Le point de vue adopté pour la narration est assez surprenant…

A.D. : La première phrase m’est venue : « Je suis née du désir de mer ». Je me suis dit alors qu’au lieu de faire parler un personnage de la villa, j’allais faire parler la villa elle-même. Elle raconte donc comment elle a été bâtie, investie par ses propriétaires. La structure du roman s’est faite en partant de l’histoire de la villa. Par ailleurs, j’ai une passion pour la civilisation gréco-latine, depuis mes études de lettres classiques. Et je me suis dit que c’était un excellent moyen d’associer l’histoire locale, celle de la villa, et la grand Histoire, l’histoire romaine. Il se trouve qu’en faisant des recherches historiques, je me suis rendu compte que l’époque de la construction de la villa correspondait à la fin du règne de l’empereur Septime Sévère, dont les deux fils se battaient pour le pouvoir. J’ai donc imaginé le lien à partir de cela, puisque la propriétaire de la villa rejoindra les troupes de l’empereur dans la guerre contre les Pictes.

S.d.S. : Ce lien se fait aussi avec un leitmotiv dans le livre, la mention du garum

A.D. : Le garum c’est la sauce de saumure, un peu comme le nuoc nahm indochinois : c’est du poisson macéré dans plusieurs ingrédients. L’une des hypothèses concernant le site de Mane Vechen, c’est que le propriétaire de la ville aurait été un riche marchant de garum : la villa était construite en bord de mer, et on a retrouvé des bassins de décantation de garum en face, du côté d’Etel. Le garum était un ingrédient très utilisé par les romains, ils en mettaient partout : sur les viandes, les poissons… J’en fait le fil conducteur parce que l’un des personnages principaux vient de Rome et est un peu sujette à moquerie parce qu’elle sentirait le garum. Pour le coup c’est totalement fictionnel : j’ai inventé l’histoire d’un personnage qui, pour relever le nom de sa famille ruinée, accepte d’épouser un jeune gallo-romain très riche. Elle accepte donc cet exil, elle se sacrifie pour sa famille.

« J’espère que la lettre et les volumes ne sentiront pas trop le garum »

S.d.S. : Votre roman alterne par ailleurs des passages très poétiques où la villa raconte son édification, sa conception, avec des chroniques historiques de la guerre contre les Calédoniens. Comment avez-vous pensé cette articulation lors de l’écriture ?

A.D. : J’ai deux passions, l’histoire et la littérature. C’était donc un excellent moyen de concilier les deux. Mon lieu d’origine littéraire, c’est la poésie, mais je me suis dit qu’en même temps la partie historique, avec la réalité de la guerre et sa violence, pouvait avoir son intérêt. Les romains sont des impérialistes, qui se forgent un empire par les armes, et ce qui m’a intéressé, c’est la question des limites de la civilisation. Nous arrivons au mur d’Hadrien, à la frontière de l’Ecosse actuelle. J’ai aussi rencontré le poète mythique Ossian, dont les poèmes, réécrits par un écrivain romantique, m’ont permis d’introduire cette question : qui sont les barbares, qui sont les civilisés ? En fait, les Calédoniens ne sont pas plus barbares que les Romains, bien qu’ils soient considérés comme tels.

Le mur d'Hadrien représente la frontière de l'Empire alors qu'il atteignait son apogée au IIe après J.-C. © Visit Britain

« Mais Rome serait en moi, perpétuant ici les usages, les moeurs et les mythes du grand empire »

S.d.S. : Le lien entre la civilisation et la barbarie se fait aussi par la mise en parallèle des deux poètes, Ossian pour les Pictes et Catulle pour les romains.. De même que le personnage le plus intéressant est une esclave élevée avec l’héroïne depuis son enfance et dont les liens avec les Calédoniens sont très ambigus… Les liens entre Rome, les barbares et la Bretagne se sont-ils imposés d’emblée lors de l’écriture ?

A.D. : Un écrivain peut dire parfois que les personnages le conduisent autant qu’ils les conduit, et sur ce roman ça a été le cas. Je suis parti de la villa, puis j’ai imaginé le lien avec Rome. Parce que cette villa est très romanisés, avec des décors très romains, voire orientaux, un décor très original, puisque dans les fouilles de la villa ont été trouvés un haut-relief d’Ariane et Bacchus. J’ai voulu montrer comme Rome avait fortement influencé la construction de la villa, et j’ai imaginé le lien entre Rome et les barbares, avec notamment ce personnage qui montre bien que les liens ne sont pas aussi tranchés. Il y a aussi des passerelles avec la mythologie : j’ai imaginé que l’abandon d’Ariane par Thésée était comparable à celui de mon héroïne, abandonnée par Rome… Cela m’est venu parce que durant les fouilles de la villa, on a retrouvé un haut-relief d’Ariane et Bacchus…

« Un jour, elle lit Catulle, son poème sur Ariane, l’Ariane au fil qui guide Thésée vers le monstre biforme. Grâce à elle, le héros avait retrouvé son chemin, grâce à elle, il avait vaincu la bête et reconnu sa route en suivant le fil dévidé. Revenant vers Athènes et pressé par Diane, jalouse de la beauté d’Ariane, Thésée abandonna sur l’île de Naxos la fille de Minos endormie… »

Moulage du Haut-Relief de Bacchus - http://www.mane-vechen.info/galerie.php

S.d.S. : D’ailleurs, l’amour que l’héroïne retrouve auprès de Geta, l’un des fils de l’empereur Septime Sévère, va s’exprimer par un aspect charnel et en même temps un aspect abstrait autour des poésies de Catulle qu’ils récitent ensemble…

A.D. : Je voulais représenter un monde romain à la fois sans pitié, barbare, un monde de la lutte pour le pouvoir, Geta étant un prince romain capable d’atrocités pour cela… Et en même temps une civilisation raffinée qui pouvait s’inspirer des poètes…

S.d.S. : On a clairement l’idée tout au long du livre que c’est le personnage de la femme qui est « créateur »…

A.D. : Oui, car c’est elle qui embellit la villa, qui lui donne vie… Historiquement ce n’est pas avéré, bien sûr, ce personnage est une création. J’aime beaucoup les personnages féminins, je trouve que souvent ils sont caricaturés dans la littérature, d’où l’idée de ce personnage de femme très volontaire, avec un mari plutôt mou.

« Elle parcourt en pensée mon avenir, les espoirs d’une villa fameuse, digne de sa famille et de son rang »

S.d.S. : Selon votre présentation sur le site de l’association Le Chant libre – Kan Digor dont vous êtes membre, vous écrivez de la poésie depuis toujours, et des romans depuis peu… Comment cette transition vers le romanesque s’est-elle produite ?

A.D. : La poésie, j’en écris depuis mon adolescence… On dit souvent d’ailleurs que les gens qui continuent à en écrire sont ceux qui ne sont pas sortis de l’adolescence, voire de l’enfance. Je pense que garder une part d’enfance en soi c’est un moyen de garder la part créatrice, parce que les « adultes » sont trop sérieux. J’ai toujours continué à écrire de la poésie, mais l’écriture romanesque s’est présentée tardivement. J’ai commencé par écrire des nouvelles poétiques, des récits très marqué par la poésie. Mais cela m’a trempé la plume dans le récit. Et j’ai eu l’occasion d’avoir entre les mains un recueil de lettres du grand-père d’un de mes amis, envoyés pendant la guerre de 14-18 depuis les tranchées. Cela m’a donné l’idée de mon premier roman, La Terre à personne. Je ne savais pas du tout ce que ça allait donner… Ces lettres envoyées à sa famille m’ont permis d’imaginer la trame de base du roman, mais j’y ai inséré beaucoup de « parenthèses » qui évoquent d’autres personnages que ce soldat. Mon deuxième roman retrouve la poésie puisque c’était une biographie romancée du poète René-Guy Cadou. Et pour le troisième, Mane Vechen donc, c’est vraiment le sujet qui s’est imposé à moi, avec ce défi d’inventer une histoire à une villa qui n’en avait pas.

S.d.S. : On remarque que pour vos trois romans, les trois sujets ont à chaque fois une base historique contraignante et précise. Est-ce indispensable ?

A.D. : C’est pas qu’un défi : mes livres permettent de lier l’Histoire et la littérature, et c’est ça qui m’intéresse. J’ai du mal à écrire sur des choses fantastiques, merveilleuse, en dehors du réel… Il me faut un cadre historique réel à partir duquel je peux développer un récit fictif. J’essaie d’écrire dans les blancs de l’Histoire… Ce ne sont pas des romans historiques, ce sont des romans autour de l’Histoire. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’histoire froide des statistiques et des populations, mais l’histoire des gens. Pas celle des personnages célèbres, mais de ceux qui ont fait l’Histoire au niveau du peuple.

Entretien réalisé par David Roué

 

A voir :

le site de la villa : http://www.mane-vechen.info

le site d’André Daviaud : http://andredaviaud.free.fr/

le site des éditions Les Perséides : http://lesperseides.free.fr/

 

 

 

 


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